samedi 23 mai 2009

Histoire courte V

Devant la vitrine, il regarde les annonces. Il trouve ça cher mais il sait qu'un jour, ailleurs, il aura lui aussi son chez lui. Il possèdera. Comme ses grands-parents et comme ses parents avant lui, il sera propriétaire. Il ne sait pas quand mais il y pense souvent et des tonnes de projets fourmillent dans sa tête.

Ce matin, il a un rendez-vous avec un responsable de la société dans laquelle il travaille. Ce matin, il se sent gonflé d'espoir. Il connait tous les arguments qui lui permettront enfin d'avancer et de pouvoir concrétiser ses rêves. Ce matin, il sait que c'est un jour favorable et que toutes ces années d'attente et de patience vont être récompensées.
Sourire aux lèvres il s'assoit. Le ton est cordial, amical. Il écoute pleuvoir les éloges sur son travail, ses qualités, son implication et sa loyauté. Il devine les éventuelles opportunités, les hypothèses et dévoile ses ambitions. Pour conclure l'entretien le responsable lui propose un bilan, une remise à niveau, et quelques formations avant de pouvoir lui faire de concrètes propositions.
Ce midi, il est heureux d'avoir enfin été entendu et reconnu. Au déjeuner, il partage ses espoirs avec ses collègues de travail et leurs mines sceptiques n'arrivent pas à entacher son enthousiasme.

Le soir même il annonce la bonne nouvelle à une amie et décide de fêter l'évènement en l'invitant au restaurant.

Quelques mois se sont écoulés. Toujours les mêmes projets, toujours cette même envie d'avoir un chez lui. Mais ses espoirs se sont amoindris. Toujours aucune évolution en vue malgré un bilan professionnel effectué à la demande de l'entreprise. Aucune perspective réelle. Juste des paroles dites dans un couloir, des bribes d'hypothèses. On lui fait comprendre qu'on ne l'oublie pas. Mais on lui signifie aussi qu'il a encore des progrès à faire. Et plus le temps avance, plus ses espérances s'amenuisent jusqu'à ne plus rien attendre du tout.

Parfois, il dit qu'il partira, qu'il ira trouver ailleurs des personnes qui sauront reconnaître ses qualités et les utiliser à bon escient. Mais il reste parce que les autres lui disent qu'il peut trouver pire, que ce n'est pas le moment, parce que c'est la crise.
A présent, il se contente d'attendre avec impatience ses prochaines vacances. Là bas, il oubliera. Là bas, il fera renaître de nouveaux projets et reprendra espoir en l'avenir. Et septembre arrivera, il recommencera à y croire. Il écoutera à nouveau les belles paroles et cela réveillera en lui des espoirs tout neufs... jusqu'au prochain coucher.

Cela fait une dizaine d'année maintenant qu'il rêve de devenir propriétaire. Cela fait dix ans à présent que de beaux parleurs, des manipulateurs lui montrent une carotte sans ne jamais la lui donner.
Cela fait dix ans qu'il se donne bien plus qu'on le lui demande, bien trop que ce qu'il faudrait.
Cela fait dix ans et c'est assez ! Il range dans un coin de son cerveau son rêve de devenir propriétaire. Il oublie toutes ces bonnes idées pour améliorer les performances de l'entreprise et dont ils étaient si friands. Il a cessé de dire ce qu'il pense et ne donne plus son opinion.
Cela fait dix ans et c'est assez ! Sa vie elle est ailleurs... Et un jour, même sans eux, il aura son chez lui.

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